mercredi 5 avril 2017

L'arbre



Je suis arbre,

    Dans ma solitude frissonnante,
    Je referme souvent les bras pour étreindre
    L’oiseau blessé qu’héberge mes rêves.
    Oiseaux nés de l’imagination ennemie
    Présage de vibrations intenses;
    Plumages si doux,
    Qui appellent les années-lumière d’étoiles inaccessibles.
    Pourtant,
        Je vous aime, étoiles et oiselets
        Qui vibrez en mes espaces intérieurs,
        Longtemps privés de tendres caresses.
        J’ouvre les bras d’extase confuse
        Pour baliser les chemins sombres et froids.


Je suis arbre,
    Tranche du Temps,

    Je décompte sans fin les années vécues à contre-courant de la Vie,
    Superpositions incalculables de joies et de peines insensées.
    Un jour, mon berceau entaille le sexe de la terre.
    Le lendemain, mon tombeau creuse la vulve de l’éternité.
    Au dernier jour, je tomberai de faiblesse,
    Terrassé par la joie.
    Vienne ce jour de grâces et de tempêtes;
    Coup fatal où j’accosterai à l’horizon de la terre
    Illuminé par l’éclair jusqu’à l’essence de ma sève;
    Là où nul oiseau de malheur ne viendra plus figer
    La mort au creux de mes membres renversés.


Je suis arbre,
    Humble batailleur,
        Chaste solitaire,

    Toujours relié au nombril de ma conscience-mère,
    Jet de sève qui coule en mon coeur,
    Sève volubile comme l’oiseau jaseur,
    Qui nourrit de silence mes racines profondes,
    Rigoles nourricières qui irriguent
    Jusqu’à la moindre de mes nervures,
    Ruisseaux mi-or, mi-argent,
    Chemins insoupçonnés vers l’oasis caché en mon noyau.


Je suis arbre,

    Mes racines, reflets argents de ma ramure d’or,
    Vilebrequins puissants, perforent la chair terrestre,
    Double soleil du pivot de ma vie,
    Où rien ne s’arrête, où tout commence
    Au sommet étoilé des feux roulants de lune.
    Mes pieds fouillent
    La matrice d’une terre aux innombrables secrets,
    Mon feuillage est un dôme de sanctuaire,
    Où le vent, aux paroles sonores
    D’un écho qui sans fin se parle et se répond,
    Chasse les esprits malfaisants.
    Mes racines prient courbées et recourbées,
    Jusqu’aux entrailles bénies d’une terre presque vierge.
    Quand mes feuilles tremblent sous la brise,
    L’ombre de mes vitraux se meut entre les ombres
    Et les lumières qui s’animent indéfiniment.


Je suis arbre,

    Et, pour que l’étincelle jaillisse de ma substance,
    J’ai besoin d’un glissement contre un frère de même nature.
    Les voisins, d’une étrange espèce,
    Se fraient un chemin entre mes racines.
    Depuis longtemps, j’ai renoncé aux couchers de soleil,
    Témoignages érotiques de la terre qui fait l’amour
    Presque tous les jours sur le lit de l’horizon.
    Je voudrais être aveugle tellement les couchers de soleil me font mal.
    Vieilli, je n’en vois plus que les ombres,
    D’une rose teinte, d’un turquoise mourant entre le val des monts.
    Enfant, seul aux abords de la clairière, je volais ses rayons;
    Adulte, sans fruit, comme un coureur de bois,
    Transplanté dans l’horrible jungle des villes,
    Les voisins m’étouffent.
    De mes bras aériens, j’enlace le vide,
    Enlisés dans un nuage de brume,
    Je culbute sous le vent qui bat contre les portes de mon être.
    De moi naît le feu qui protège et rassure.
    De part en part, dans les moindres fissures de mon tronc
    S’infiltre et se loge ton amour...









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